La loi Blanquer, un projet néo libéral ?
J’ai parlé longuement ici de la réforme de l’ombre, dont personne ne parle, celle de la voie professionnelle.
Mais abordons maintenant celle qui occupe les conversations de la communauté éducative et des parents de manière très forte dans le 20e : la loi Blanquer.
Cela fait plusieurs années que je n’ai pas vu autant de débats concernant l’école. Au départ, le Ministre a promis une loi technique, additionnant une série de mesures dans lesquelles on peut se perdre. Mais quand même, quand on prend un peu de recul, on voit apparaître un fil rouge : adapter l’école au néo libéralisme.
Le capitalisme issu de la révolution numérique a besoin de salariés adaptables, qui circulent entre différents emplois, savent évoluer, sont créatifs et autonomes. Autonomie, créativité, communication sont des mots qu’on retrouve dans les pédagogies dites alternatives. Sauf que les compétences développées ne sont pas mises au service du même projet. Pour les pédagogues, accompagner un élève dans son apprentissage, c’est le mener sur le chemin de l’émancipation. Lui donner les outils pour sa propre libération.
Alors, concrètement, qu’est-ce qui dans la loi Blanquer relève d’un projet néo libéral?
D’abord l’article 1 qui impose aux enseignant-e-s un droit de réserve. Un droit de réserve qui existe déjà pour tout fonctionnaire. Quel est l’intérêt donc de le souligner en début de loi ? Il s’agit de reprendre la main sur ceux et celles qui sont en contact direct avec les jeunes et empêcher tout débat pouvant faire émerger alternatives et critiques aux politiques menées. Les premiers enseignant-e-s sont convoqué-e-s et souvent sanctionné-e-s, avant même que la loi soit définitivement adoptée, montrant ainsi le durcissement à l’égard du personnel éducatif. A ceux et celles qui en douteraient, il n’y a pas de politiques éducatives neutres ; les différentes options sont toutes révélatrices d’un projet de société.
Ensuite, l’allongement de la scolarité obligatoire est un cadeau financier au privé sous contrat. 93% des enfants de 3 à 6 ans sont déjà scolarisés. Les taux sont les plus faibles dans les territoires fragiles : Mayotte et la Guyane par exemple. Il est certain qu’en pleine forêt amazonienne, la scolarisation des tous petits est un autre défi que traverser la rue à Paris. Les exceptions à la scolarisation obligatoire d’ors et déjà adoptées par la représentation nationale font douter de l’argumentaire lié à la volonté d’augmenter le nombre d’enfants à l’école. Par contre, sous l’annonce d’une mesure que l’on ne peut qu’approuver, se cache une conséquence non négligeable pour les collectivités locales : l’obligation par la loi Debré de financer l’école privée sous contrat pendant le temps de la scolarité obligatoire. Pour Paris, la facture sera de près de 12 millions d’euros sans que pour l’instant aucune compensation ne soit annoncée de la part du gouvernement, ni qu’aucune obligation ne soit imposée au privé. C’est un magnifique cadeau d’argent public sans contrepartie.
Enfin, le recours aux contractuel-e-s et aux étudiant-e-s est facilité. Le remplacement des profs quand ils/elles sont malades, en formation, absents est une question difficile à résoudre. C’est pourquoi l’Education nationale a eu pendant longtemps des profs remplaçants. Ce n’est pas le même métier qu’avoir une classe à l’année. Il faut maîtriser le programme de plusieurs niveaux en même temps, être capable de s’intégrer dans la progression pédagogique de quelqu’un d’autre le temps de son remplacement, trouver son positionnement auprès des élèves, et faire en sorte bien sûr que ce temps soit utile. D’ailleurs quand les parents s’émeuvent à juste titre des non remplacements (je pense à la Seine Saint Denis) ils ne demandent pas seulement un adulte pour garder leurs enfants. Non, ils demandent un enseignement de qualité. Je ne suis pas certaine que le recours systématique et massif aux contractuel-e-s, par définition moins formés, plus précaires, soit compatible avec cette exigence. Le recours aux étudiant-e-s pose la question de la responsabilité d’une classe. Ce n’est pas la même chose d’être enseignant stagiaire quelques heures accompagné par un plus expérimenté qu’en responsabilité totale dans une classe.Certes, ça coûte moins cher.
On pourrait faire une série sur la loi Blanquer.
Lors des mobilisations contre cette loi dans le 20e, j’ai rencontré des parents extrêmement bien informés, qui avaient lu la loi dans le détail, qui s’étaient renseignés sur les amendements proposés, les positionnements tenus. Des parents citoyens, dans le sens entier de l’exercice d’une citoyenneté : réfléchir et émettre un avis critique et argumenté ; s’impliquer dans la vie de la cité.
Unanimement aussi, ils sont convaincus que la loi préparée par le Ministre de l’Education amplifiera les difficultés existantes plutôt que les régler. Ils souhaitent être associés, entendus, pour participer à la décision d’évolution de l’école qui pèsera sur leurs enfants.
Unanimement ils souhaitent que l’école change. Soit plus bienveillante, accueillante pour leurs enfants. Que la mixité sociale soit favorisée. Qu’elle oeuvre davantage à la réussite des élèves.