L’art au secours des EHPAD ?
Il est 14h30. Rue des Cendriers, au coeur du quartier populaire des Amandiers. Des jeunes orientent une centaine de personnes vers la salle de restaurant de la maison de retraite. Des résident.e.s sont déjà installé.e.s et nous accueillent.
Nous avons rendez-vous pour un après-midi de partage autour d’une bien belle question : « L’art au secours des EHPAD? ». Cette rencontre n’arrive pas par hasard. Depuis 18 mois, sous l’impulsion de Richard Michel, directeur du pôle Korian Seniors, une dynamique se tisse entre deux maisons de retraite du 20e et les acteurs culturels de l’arrondissement.
Oublier les mots et perdre du pouvoir de s’exprimer
J. est entrée à la maison de retraite parce qu’elle n’arrivait plus à rester chez elle. Tout d’abord, elle a commencé par oublier. Des prénoms. Le coup de fil de sa fille une heure avant. Ses clés qu’elle cherchait partout. Et puis elle est tombée. Elle ne pouvait plus rester chez elle.
F. n’ouvrait pas la porte de chez elle aux aides médicales qui venaient lui rendre visite. Sauf quand elles lui apportaient de la nourriture. Elle accumulait des objets, oubliait de faire sa toilette tous les jours. Elle ne pouvait plus rester chez elle.
Quand J. et F. sont arrivées à la maison de retraite, elles n’ont pas voulu dans un premier temps sortir de leurs chambres. Elles n’avaient pas envie. Elles se sentaient perdues. Ne se sentaient pas capables de manger à côté d’autres résident.e.s. De trouver les mots. C’est difficile parfois de trouver les mots. On peut les avoir oubliés. On peut les remplacer par d’autres qui n’ont pas le même sens.
C’est difficile d’avoir une expression de soi quand on oublie les mots, quand ils vous échappent.
La création pour reprendre confiance et parler de soi
Et puis il y a eu la rencontre avec Anne Basaille. Anne est céramiste. Elle croit en la puissance du geste, la puissance de la terre qu’on malaxe, de l’argile pour faire lien avec le réel. Elle est persuadée que l’expression de soi est possible autrement que par les mots.
Tout doucement, J. a accepté de fréquenter l’atelier poterie. Elle a pris d’abord une petite boule de terre. Elle lui a donné une première forme. Elle a souri. Le soir, elle a accepté d’aller diner avec les autres résident.e.s, dans la salle commune. J. a expérimenté le pouvoir libérateur de l’acte de créer.
C’est essentiel pour Anne d’intervenir en EHPAD. Elle affirme que les personnes dites « normales », c’est-à dire sans problème de santé, sans problème de dépendance, ne sont pas représentatives à elles seules du monde. Qu’il lui est donc indispensable de se frotter à d’autres manières d’être au monde.
« Nous sommes tous relié.e.s à la même condition humaine »
Carole Thibaud dirige le CDN de Montluçon. Elle est autrice et metteuse en scène. Cette année, elle sera accueillie aux Plateaux Sauvages, la fabrique artistique et culturelle de la Ville de Paris, située à quelques pas de la maison de retraite. Elle y reprendra une création entamée il y a dix ans : « l’idéal féminin n’est plus ce qu’il était ». Associée avec un chorégraphe, elle mènera un projet de transmission artistique avec un groupe de résidentes.
Quand le corps vient à manquer, quand on est en fragilité, on est enfermé en soi-même. Alors l’idée est de partir du tout petit mouvement possible et de danser. D’avoir des contacts. De reprendre confiance, en prenant le temps. Car la confiance demande du temps. Pour se relier à l’autre, aux autres, en soi même.
Etre pleinement dans la Ville
L’enjeu de la démarche entamée ici est de relier des habitant.e.s du 20e devenu.e.s invisibles quand ils et elles ne peuvent sortir du bâtiment à la vie du territoire. De tisser entre l’art et la santé. D’affirmer qu’on est tous et toutes artistes. Quelque soit son âge et son degré de dépendance.
Je reprends les mots de Richard Michel pour conclure. Le 20e est un territoire foisonnant en terme culturel, avec des acteurs culturels en réseau, disponibles à la construction de projets solides, durables, pour partager des processus artistiques. Tisser des liens entre ce réseau et des maisons de retraite est essentiel. Cela permet de traduire concrètement l’ambition d’une pratique culturelle pour tous et toutes.