EPISODE 9 : DEUXIEME CHANTIER : LA DEMOCRATIE A L’HEURE DU NUMERIQUE
(Ou pourquoi cette révolution change tout, notamment notre rapport à la démocratie)
Partons d’un expérience concrète : une imprimante 3D dans une médiathèque
Je suis sollicitée en tant qu’élue à la culture pour accompagner le projet de la médiathèque Marguerite Duras d’installation d’une imprimante 3D en son sein. Grâce aux explications de bibliothécaires passionnés, je découvre qu’on peut fabriquer l’objet dont on a besoin. Et qu’on a la possibilité de le faire dans une logique de partage et d’accessibilité, en opposition du modèle qui rêverait de contourner le droit du travail en payant un forfait d’accès à un fablab pour créer un objet à moindre coût. Qu’on n’est donc pas obligé de consommer. Qu’on peut vraiment adapter l’objet à son besoin. Que la créativité est développée.
Un des bibliothécaires me fait part tout de suite de la question démocratique derrière ce projet. La médiathèque est ouverte à toutes et tous. Elle a un public de quartier très divers, dans sa sociologie, dans son âge, dans son rapport au numérique. Rares sont les habitant.e.s à avoir fréquenté un fablab et donc à avoir pu utiliser l’imprimante 3D. C’est un peu le même principe qu’une galerie d’art : le public qui y entre est averti.
Grâce à cette imprimante 3D, de nombreux ateliers sont organisés : parents-enfants, confirmé.e.s, débutant.e.s dans le numérique. Du prétexte de créer un objet, le/la participant.e apprend à manier une souris, ouvrir un logiciel, se familiariser avec un ordinateur, aborder le codage. Bref, le numérique et son potentiel perdent une part de leur mystère et se démocratisent. Bref, l’imprimante 3D permet de réparer son bouton de cafetière, de changer une pièce défectueuse. Bref, d’être une alternative par exemple à l’obsolescence programmée.
Les pistes de réflexion de cette expérience
La révolution numérique a bouleversé notre rapport au monde et au savoir. D’abord dans l’éducation. Dans Petite Poucette,Michel Serres met en lumière la transformation profonde de l’éducation et de la transmission par le numérique. J’ai réalisé à ce moment-là l’absurdité parfois de vouloir faire mémoriser des dates à mes élèves en histoire, ou alors des références, alors que le vrai enjeu serait de leur transmettre le savoir faire pour pouvoir chercher l’information, et qu’elle soit fiable.
La question de la fiabilité de l’information trouvée, qui se propage et se diffuse. L’impact des informations fausses sur les résultats des élections n’est plus à prouver, et des spécialistes nous ont montré récemment qu’ils savaient les utiliser, tout comme ils maîtrisaient les dernières recherches sur le cerveau et le fonctionnement humain pour jouer, manipuler nos émotions et nos sentiments.
La question de la fiabilité des propriétaires de données accumulées. Surveillance des opinions des citoyens, fichage, commercialisation des bases de données, ingérences… N’y a-t-il pas que le logiciel libre qui peut garantir les conditions de transparence, de responsabilité collective ? La publicité vendue par les GAFA n’est pas tant ce qui m’inquiète. Ce qui me questionne politiquement est l’accumulation de data depuis des années, sans régulation, qui vaudront dans l’avenir énormément d’argent. Quand les algorithmes pourront les exploiter, plus besoin de publicité. Google me proposera ce qui va satisfaire mes besoins, mes envies, avant même que je le réalise vraiment. Je pourrais même lui confier le choix de la meilleure option : à l’aide de toutes mes données, il me connaître mieux que moi-même.
Les Civic Techs
La question démocratique peut aussi se poser à travers les Civic Techs. Ce sont toutes les initiatives, associatives, publiques ou privées, qui visent à renforcer l’engagement citoyen (par l’information et la mobilisation), la participation démocratique (par la co-construction et la codécision), et la transparence des gouvernements, grâce aux nouvelles technologies.
Concrètement, cela consiste à créer des sites (les plateformes numériques comme idee.paris, qui présente des projets de citoyens pour la Ville, Paris Pétition, qui permet l’interpellation des élus du Conseil de Paris, ou encore budgetparticipatif.paris.fr, pour proposer des projets au budget participatif), des applications pour smartphones (Dans Ma Rue, pour améliorer l’espace public à Paris), ou encore des chaînes d’information sur Youtube. L’objectif à terme est de poser les bases d’une démocratie directe.
L’ambition des Civic Techs se heurte à une réalité : la fracture numérique. Intuitivement, on penserait qu’elle est générationnelle. Mais elle est avant tout de classe. Le non recours aux prestations sociales via le numérique correspond à 5 milliards d’euros, nous apprend le Monde Diplomatique d’août 2019. Il faut lire le récit d’une matinée passée dans une antenne pôle emploi pour renouveler ses droits dans des machines en l’absence de conseiller.e.s, mais en présence de service civique dépassé.e.s, déprimé.e.s par le non sens de leur mission. Des droits qui deviennent un parcours du combattant.e. Des droits qui ne sont pas utilisés.
Si l’intention est louable, si un progrès d’information de la population n’ayant aucun frein à utiliser le numérique est notable, quel est l’apport de ces démarches en ligne pour construire une démocratie d’implication ? Les pétitions sont nombreuses sur les différents réseaux sociaux. L’engagement citoyen peut se traduire par une signature numérique, un like colérique. Suite au mouvement des gilets jaunes, le président de la République propose une consultation organisée notamment en ligne sur la base d’un questionnaire. Qui ne répond spontanément pas oui à la question « Voulez-vous payer moins d’impôt ? » ? Consultations biaisées qui permettent de récupérer les logiques de participation des civic tech et de les détourner.
Dans le 20e, soutenir les initiatives dans l’esprit des Communs plutôt que conduisant à la dictature digitale.
Trois initiatives ont vu le jour dans le 20econcernant la démocratisation du numérique, en plus du projet de la Médiathèque Marguerite Duras, toutes en quartier politique de la Ville : les formations de codage par Simplon et Belleville citoyenne, Amandiers connexion co porté notamment par le Garage numérique.
Trois initiatives croisant une expertise numérique et une démarche d’éducation populaire dont les habitant.e.s des quartiers politique de la ville sont les premiers bénéficiaires. Trois initiatives portées par des acteurs associatifs qui ne comptent pas leurs heures. Qui inventent l’inclusion de toutes et tous.